Sylvain Coher
Étraves
Roman
“Splach, le moussaillon vient tout juste de s’endormir quand le panneau coulisse et déverse son déluge sur le plancher du carré. Faut voir comme il sursaute, Petit Roux, il se dresse sur les coudes avec la tignasse hérissée et la gueule en sabord. C’est le moment, vocifère Furieuse en dévalant les quatre planches de la descente.”
Un soir, à la proue du Ghost, un jeune marin s’oppose au reste de l’équipage. Sa mère, Câline, vient de mourir. Et, dans ce monde recouvert par les eaux montantes, le voilà qui lui murmure le serment de trouver un îlot où l’enterrer dignement. Même si pour cela il lui faut braver les lois et trahir les siens, même s’il doit s’enfuir, disparaître, désormais seul sur l’étendue tumultueuse.
Il se jette alors d’une embarcation à l’autre en quête d’une terre promise, déjouant la foudre des éléments et la fureur des hommes, défendant le corps maternel au péril de sa vie, jusqu’au bout de la Mer-océane, jusqu’au jardin interdit.
Avec Étraves, Sylvain Coher réinvente le récit maritime dans une langue éclatante, aussi précise que ludique, tout droit sortie des flots. Il nous offre une odyssée atemporelle où résonnent furieusement certains enjeux de notre époque, mais qui nous ramène, surtout, au plaisir incomparable de la fiction, de toutes ces histoires en nous, ferments de notre imagination.
Au commencement, il y a le Déluge, pour de vrai. Cette idée m’accompagne depuis longtemps. Enfant, lorsque je naviguais avec mon grand-père, je chérissais le moment où le trait de côte s’effaçait – lorsqu’il n’y avait plus rien autour de nous que la mer à perte de vue.
Bien sûr, l’océan est un lieu hostile où l’on ne fait que passer sans jamais pouvoir vraiment l’habiter. Mais pour les personnages d’Étraves, il faut faire avec.
Alors que nous découvrons l’urgence des enjeux climatiques et la menace de la montée des eaux, le cataclysme diluvien retrouve sa force symbolique intacte. En le prenant au pied de la lettre, c’est l’occasion d’imaginer un monde où la nature seule décide de l’avenir des hommes.
Pour modéliser une planète constituée d’eau à 98 %, j’ai dû faire monter le curseur au-delà du raisonnable. « Quant à savoir pourquoi toute la flotte contenue dans la terre s’est retrouvée d’un coup sur la terre, ça reste un sacré mystère. »
À partir de ce postulat, j’ai cherché à me représenter ce que deviendraient les peuples, la faune, les vents ou les courants, sur la planète Mer. Très vite, il m’a semblé que les relations entre « terriens » et « marins » seraient problématiques – comment pourrait-il en être autrement ?
L’odyssée de Petit Roux et de sa mère, ballottés d’une embarcation à l’autre, repose entièrement sur ce conflit territorial – la cruelle absence d’un rivage hospitalier.
Il me fallait encore trouver une langue pour porter mon histoire. Une langue composite, simultanément moderne et archaïque. Une langue romanesque faite d’emprunts aux récits maritimes classiques, ponctuée de néologismes, d’un lexique parfois technique ou argotique, sonore et ludique.
Le narrateur d’Étraves nous propose un soliloque atemporel, sa parole nous entraîne dans le sillage des navires apatrides. Michel Audiard nous avait prévenus : c’est curieux, chez les marins, ce besoin de faire des phrases…
– Sylvain Coher
A propos de l’auteur
Sylvain Coher
Né en 1971, pensionnaire à la Villa Médicis 2005-2006, Sylvain Coher est l’auteur chez Actes Sud de Hors saison (Babel n°1071), Carénage (2011 ; Babel n°1199), Nord-nord-ouest (2015 ; Babel n°1461 ; prix Ouest-France / Étonnants Voyageurs, prix des Mémoires de la mer, prix Encre Marine, prix de la bille d’Asnières), Trois cantates policières (2015), Vaincre à Rome (2019 ; Babel n°1768) et Étraves (2023). Amoureux de la mer et des bateaux, il écrit toujours en surveillant la météo.
© Marc Melki