Rentrée d'hiver 2022
JANVIER
Jeanne Benameur,
La Patience des traces
Yasmine Chami,
Dans sa chair
Elena Piacentini,
Les Silences d’Ogliano
Eric Vuillard,
Une sortie honorable
FÉVRIER
Sylvain Estibal,
Terres voraces
Nicolas Mathieu,
Connemara
Pierre Testard,
Les Enfants Boetti
Jeanne Benameur
Née en 1952 en Algérie d’un père tunisien et d’une mère italienne, Jeanne Benameur arrive en France, avec sa famille, à l’âge de cinq ans. Parmi ses romans publiés chez Actes Sud : Profanes (2013, grand prix du roman RTL/Lire), Otages intimes (2015, prix Version Femina 2015, prix Libraires en Seine 2016), L’Enfant qui (2017), et plus récemment, Ceux qui partent (2019, prix des Lecteurs de Corse 2020).

La Patience des traces
Parution le 5 janvier
Psychanalyste, Simon a fait profession d’écouter les autres, au risque de faire taire sa propre histoire. À la faveur d’une brèche dans le quotidien – un bol cassé – vient le temps du rendez-vous avec lui-même. Il lui faudra quitter sa ville au bord de l’océan et l’île des émotions intenses de sa jeunesse, s’éloigner du trio tragiquement éclaté qui hante son ciel depuis si longtemps. Aussi laisser derrière lui les vies, les dérives intimes si patiemment écoutées dans le secret de son cabinet.
Ce sera un Japon inconnu – un autre rivage. Et sur les îles subtropicales de Yaeyama, avec les très sages et très vifs Monsieur et Madame Itô, la naissance d’une nouvelle géométrie amicale. Une confiance. À l’autre bout du monde et au-delà du langage, Simon en fait l’expérience sensible : la rencontre avec soi passe par la rencontre avec l’autre.
Jeanne Benameur accompagne un envol, observe le patient travail d’un être qui chemine vers sa liberté dans un livre de vie riche et stratifié : roman d’apprentissage, de fougue et de feu ; histoire d’amitié et d’amour foudroyés ; entrée dans la complexité du désir ; ode à la nage, à l’eau, aux silences et aux rencontres d’une rare justesse.
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“L’origine d’un roman est souvent lointaine, enfouie. Elle se manifeste par une question qui me taraude suffisamment pour que j’essaie de la cerner mieux par l’écriture. J’écris pour comprendre.
Je n’ai pas vu tout de suite l’origine pour La Patience des traces. J’ai travaillé en suivant Simon, son questionnement, son entrée dans la complexité de son propre désir. C’est à la fin que m’est apparue la question.
Pour une fois elle ne venait pas de moi. Elle m’avait été posée par un petit garçon de cinq ans devant son bol de petit déjeuner. C’était mon fils. Il avait lancé en me regardant : Alors l’âme c’est la femelle de l’esprit ?
J’en étais restée interdite. Il attendait tranquillement ma réponse. Et je n’en avais pas.
Il y a quelque temps nous faisions une de nos promenades dans l’île tous les deux. Ce sont des moments privilégiés dans ma vie de mère.
Nous parlons de nous, des livres que nous avons lus, nous nous donnons de nos nouvelles de cette façon.
Je lui ai dit : Tu sais, je crois que je peux enfin répondre à la question que tu m’as posée quand tu avais cinq ans. C’est l’écriture de La Patience des traces qui m’a permis de comprendre. Pour moi, l’âme n’est ni une propriété humaine, ni une entité, peut-être même pas un concept. Ce n’est rien qui soit vraiment nommable. Ce que nous appelons « âme » c’est un moment. Seulement un moment. Pas un état. On l’atteint quand tout de nous ne fait qu’un, quand on s’est débarrassé de tout ce qui fait obstacle à l’intérieur de soi. C’est peut-être là que mène une analyse réussie. Un élan, une joie pure. Un moment d’âme. Ils sont précieux. Finalement, on devrait passer sa vie uniquement à les cultiver. C’est ce que je fais en écrivant, je crois. Tu vois, il m’aura fallu trente-sept ans pour te répondre. Mais ça vient.
Nous étions très émus mais lui ne se souvenait plus de sa question. Moi, je me suis rendu compte qu’elle ne m’avait jamais quittée.”
Yasmine Chami
Yasmine Chami vit à Casablanca. Normalienne, anthropologue, aujourd’hui enseignante, elle est l’auteure de trois autres romans, tous parus chez Actes Sud : Cérémonie (1999), Mourir est un enchantement (2017) et Médée chérie (2019).

Dans sa chair
Parution le 5 janvier
Écrire l’instant de sidération d’une femme abandonnée de la manière la plus violente qui soit. Mais ce n’est pas tout. Remettre l’objet de son livre sur le métier et retourner le point d’ancrage de son sujet. Se saisir ainsi des nuances de l’histoire d’Ismaïl, celui qui ce jour-là trahit de la plus impensable façon.
Dans une langue magnifique, Yasmine Chami parvient à transformer le regard sur l’homme qui part. Avec une acuité remarquable, elle emprunte les chemins d’influences que traversent tout au long de leur vie ceux qui ont la capacité d’en faire abstraction ou de s’en libérer. Mais aussi et surtout, bien au-delà des questions de genre, ce livre interroge les enjeux du désir et de la liberté, la puissance d’être des femmes et des hommes, ensemble.
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“DIRE UN HOMME au plus près, au plus juste… Ce texte, écrit après Médée chérie qui explorait l’abandon du point de vue de l’abandonnée, s’inscrit dans un désir de lire autrement la violence, celle faite à soi autant qu’à l’autre par un personnage complexe, intimement intègre, pris dans le nœud d’injonctions qui construisent les identités masculines au cœur de l’histoire tourmentée du Maroc des années 1970 jusqu’au début des années 2000.
Ismaïl est un homme marqué par la disparition de son père, la vulnérabilité et la force de sa mère qu’il a soutenue de son amour inquiet de jeune adolescent, il est aussi un chirurgien hors pair, occupé par la maîtrise de ses gestes dont dépend la vie de l’esprit de ses patients autant que leur survie organique. Mais l’enjeu de sa pratique s’enracine aussi dans la ferveur qui accompagne le développement de tout le champ d’une médecine nationale de haut niveau dans le Maroc indépendant. En ce sens, Ismaïl est un praticien engagé, dans la vie hospitalière mais aussi dans la formation de jeunes neurochirurgiens dont dépend le prolongement de l’œuvre des pionniers. Cet homme loyal, dont la puissance de vivre trouve aussi son origine dans la violence affrontée par son père au nom d’un idéal de société, est pris dans la tourmente du désir et de la passion, de la transgression et de la rupture alors même qu’il mesure la profondeur des liens qui l’arriment à sa vie familiale et conjugale auprès d’une épouse artiste tendrement aimée.
Ce texte questionne les enjeux du désir et de la sexualité dans la rencontre avec soi, la vérité de l’être, la puissance de vivre et d’affronter la fragilité des constructions familiales. Il explore aussi ce moment de la vie d’un homme, où la force de vivre s’exprime avec une sauvage nécessité, emportant sur son passage les fondations apparentes d’une vie, comme si elle-même se tenait ailleurs, dans un élan irrépressible qui défie les règles non écrites de l’existence sociale et collective.
Face à cet homme se tiennent deux femmes, son épouse Médée et son jeune amour Meriem, une chirurgienne de trente ans, son élève, proche de dépasser le maître.
Plus largement, ce roman interroge la vulnérabilité des hommes dans nos sociétés, la compréhension, par-delà la question du genre, les enjeux du désir et de la liberté, la puissance d’être des femmes et des hommes ensemble.’’
Elena Piacentini
Elena Piacentini est corse et vit à Lille. Après plusieurs polars publiés, notamment chez Fleuve noir et Pocket, et récompensés par différents prix, Les Silences d’Ogliano est son premier roman en littérature blanche publié chez Actes Sud.

Les Silences d’Ogliano
Parution le 5 janvier
La fête bat son plein à la Villa rose pour la célébration de fin d’études de Raffaele, héritier de la riche famille des Delezio. Tout le village est réuni pour l’occasion : le baron Delezio bien sûr ; sa femme, la jeune et divine Tessa, vers laquelle tous les regards sont tournés ; César, ancien carabinier devenu bijoutier, qui est comme un père pour le jeune Libero ; et bien d’autres. Pourtant les festivités sont interrompues par un drame. Au petit matin, les événements s’enchaînent. Ils conduisent Libero sur les hauteurs de l’Argentu au péril de sa vie.
Situé au cœur d’un Sud imaginaire, aux lourds secrets transmis de génération en génération, Les Silences d’Ogliano est un roman d’aventures autour de l’accession à l’âge adulte et des bouleversements que ce passage induit. Un roman sur l’injustice d’être né dans un clan plutôt qu’un autre – de faire partie d’une classe, d’une lignée plutôt qu’une autre – et sur la volonté de changer le monde. L’ensemble forme une fresque humaine, une mosaïque de personnages qui se sont tus trop long temps sous l’omerta de leur famille et de leurs origines. Placée sous le haut patro-nage de l’Antigone de Sophocle, voici donc l’histoire d’Ogliano et de toutes celles et ceux qui en composent les murs, les hauts plateaux, les cimetières, les grottes, la grandeur.
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“LA GENÈSE DE CE ROMAN est celle d’une double contrainte : un récit rapporté à la première personne et le Sud. Avec le Sud, celui de mon enfance et de la culture orale qui a nourri les premières strates de mon imaginaire, se sont invités des thèmes qui traversent les âges : famille, violence, fatalité, injustice. Ces thèmes s’assemblent et se recomposent, à la manière d’une hydre dont les têtes ne cesseraient de pousser : fatalité de la famille, violences familiales et de l’injustice, fatalité de la violence… Peu importe dans quel Sud émergent ces faces grimaçantes, puisque toutes ont en commun de se nourrir de désespoirs, de rêves, de vies. C’est dans une lutte qui semble jouée d’avance que j’ai engagé Libero Solimane. Pour affronter cette hydre, sans doute faut-il être animé d’un intense sentiment de révolte et d’une soif égale de justice. Cette aspiration à un avenir meilleur, cet esprit de rébellion ne sont, je crois, jamais aussi purs ni puissants qu’à l’adolescence. L’histoire d’Antigone en est un vibrant exemple et son ombre plane, légère, sur Les Silences d’Ogliano. Libero en est donc à l’heure des choix, avec la conscience claire que la donne n’est pas la même selon que l’on est fils de baron ou fils de chevrier. Sa vision du monde est tranchée, à la mesure de son idéalisme. Pourtant, « entre le bien et le mal, il y a large comme l’embouchure de la Fiumara ». Dans une époque où l’on est sans cesse sommé de choisir son camp, j’ai voulu rendre compte des nuances d’une humanité qui n’est pas là où on l’attend. Car tous, grands et petits, portent le poids de secrets, de renoncements, de silences. Libero parviendra-t-il à achever sa mue sans se trahir ? Là est l’enjeu des épreuves qui l’attendent. Il fallait donc un théâtre à la mesure de cette transformation : le massif de l’Argentu, écrasant et ouvert, murmure à quel point nos racines nous forgent, nous emprisonnent et nous élèvent. Car l’aventure s’achève sur le seul trésor qui vaille : reprendre possession de ses choix, refuser de se laisser réduire à sa naissance, devenir soi. Ainsi, ce roman qui naît dans la contrainte porte en lui, je l’espère, la lumière d’une liberté possible.’’
Éric Vuillard
Écrivain et cinéaste né à Lyon, Éric Vuillard est notamment l’auteur chez Actes Sud de Congo (2012), Tristesse de la terre (2014), 14 juillet (2016). Son œuvre, traduite dans quarante langues, lui a valu de nombreuses récompenses, dont le prix Goncourt pour L’ordre du jour (2017), nommé meilleur livre de l’année par le Boston Globe. Son dernier livre, La guerre des pauvres, a été finaliste de l’International Booker Prize.

Une sortie honorable
Parution le 5 janvier
La guerre d’Indochine est l’une des plus longues guerres modernes. Pourtant, dans nos manuels scolaires, elle existe à peine. Avec un sens redoutable de la narration, Une sortie honorable raconte comment, par un prodigieux renversement de l’histoire, deux des premières puissances du monde ont perdu contre un tout petit peuple, les Vietnamiens, et nous plonge au cœur de l’enchevêtrement d’intérêts qui conduira à la débâcle.
“Et si je vous en donnais deux ?, lui lança-t‑il.
– Deux quoi ?”, répondit le ministre français, interloqué, incapable de faire le lien entre la conversation diplomatique, somme toute assez classique qu’il menait à propos de Diên Biên Phu, et cette question à la tournure tout à fait saugrenue.
“Deux bombes atomiques…”, précisa le secrétaire d’État américain.
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“ IL Y A LONGTEMPS, on m’a offert un petit guide de voyage. C’est un guide de voyage en Indochine de 1923. Il n’y a pas plus instructif qu’un guide de voyage. Il nous renseigne sur ceux qui le lisent mieux que leurs correspondances, mieux que des aveux. On y découvre le résumé de leurs pérégrinations, leurs étapes, le nom de leur hôtel, les restaurants qu’ils ont élus, bref, on s’émerveille de leur existence jusque dans les détails intimes où le roman lui-même ne se compromet pas. Au fond, nos guides de voyage ne nous renseignent que sur nous.
À ce titre, mon petit guide sur l’Indochine est absolument comme les autres. Après une sommaire description des paysages à admirer, il commence par un manuel de conversation à l’usage des touristes : « va chercher un pousse, va vite, va doucement, tourne à droite, retourne en arrière, relève la capote, conduis-moi à la banque, chez le bijoutier, à la concession ». On le voit bien, comme tous les guides, comme tous les livres peut-être, il semble avoir été écrit par ses lecteurs.
Qu’est-ce qu’écrire ? C’est une question que je me pose à nouveau pour chaque livre. En suivant le cours tumultueux des événements, en faisant revivre leurs protagonistes, il me semble saisir quelque chose, effleurer une vérité qu’on n’atteint que par le langage.
Mon livre s’ouvre sur ce petit guide. C’est une entrée en matière comme une autre pour raconter la plus féroce guerre coloniale. Et il me semble qu’à feuilleter un instant ce lexique, sa violence, si éloignée de la guerre, à l’autre bout de la vie sociale, dans la douceur du voyage, là où les relations humaines devraient être empreintes de curiosités réciproques, on saisit mieux comment un si petit pays, le Vietnam, pour recouvrer sa liberté, a dû souffrir la plus longue guerre coloniale, et plus de trois millions de morts. Entre un guide de voyage et une telle guerre, il me semblait y avoir assez de place pour un livre.’’
Sylvain Estibal
Sylvain Estibal, journaliste, collaborateur à l’AFP, vit entre Chypre et le Mexique. Chez Actes Sud ont paru Le Dernier Vol de Lancaster (2003, Babel n° 672), Éternel (2009) et un livre d’entretiens avec Théodore Monod, Terre et ciel (1997, Babel n° 364). Il est également réalisateur (Le Cochon de Gaza, césar du meilleur premier film ; prix Henri-Langlois, prix du public du Festival international de Tokyo).

Terres voraces
Parution le 2 février
La vie de Lucia a basculé depuis la disparition de sa fille. Le jour de son enlèvement, l’adolescente portait le maillot de son idole, Lionel Messi. Depuis, sa mère parcourt les collines à la recherche des cadavres ensevelis par les cartels mexicains. Des corps de femmes souvent, que des criminels abandonnent dans les fosses clandestines, les puits oubliés, les trous creusés à la hâte dans le désert. Mais dans un pays résigné face à l’impunité, la force de Lucia, sa volonté furieuse et brûlante de résister, de ne pas se résoudre à accepter l’infamie – celle du mensonge et de la complicité de l’État, celle d’une jeunesse décimée et de ces vies en suspens – deviennent vite embarrassantes pour les trafiquants et leurs protecteurs.
C’est dans ce décor tragique que Messi entre en jeu, lors du match de demi-finales de la Ligue des champions. Le ravisseur en a décidé ainsi : si le Barça gagne, il libère la jeune Bianca. Sinon, elle sera exécutée. Paradoxe insensé faisant coexister la futilité d’un championnat de football et le prix dérisoire d’une vie…
Un texte sombre et incantatoire, à l’écriture pénétrante – comme les tiges de fer et les pioches qui fouillent ces terres voraces –, pour sonder l’ampleur des fissures invisibles, des séismes silencieux qu’elle révèle.
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“CE LIVRE EST NÉ D’UN SÉISME, celui que j’ai vécu à Mexico en septembre 2017. Vivre un tremblement de terre, c’est subir un profond choc émotionnel, un ébranlement intérieur qui entraîne une remise en question de sa vie, de ses priorités, de ses envies. Chez moi, ce séisme a suscité un besoin d’écrire sur les disparus du Mexique et la quête obstinée de ceux qui les recherchent.
J’ai passé quatre années dans ce pays où les couleurs, dit-on, sont plus vives qu’ailleurs et les ombres, plus noires qu’ailleurs.
Ces ombres, ce sont notamment ces quelque 100 000 personnes portées disparues, victimes de violences liées au narcotrafic, d’extorsions ou de trafics d’êtres humains. Un drame de grande ampleur dont le monde semble étrangement se désintéresser.
Des familles, des femmes souvent, s’organisent à travers le pays pour les retrouver, portées par leur douleur et leur courage. Elles s’improvisent légistes, fouillant des zones dangereuses contrôlées par les cartels de drogue.
La vision de ces femmes arpentant les montagnes et les déserts à la recherche des dépouilles de leurs proches, une tige de chantier à la main pour sonder le sol, m’a marqué et inspiré ce texte. Elles sont un peu comme ces sauveteurs qui dégageaient les décombres de Mexico au lendemain du puissant séisme. Mais leur quête à elles peut durer toute une vie.
Elles sont seules. Sans ressources, ni moyens. Elles explorent le sous-sol de ce pays, la face sombre de notre civilisation, les « terres voraces » de notre humanité.
Lucia est l’une d’entre elles. Sa fille portait le maillot de Messi au moment de sa disparition. Alors le nom du grand joueur est désormais intimement lié à son drame, et c’est ce maillot qu’elle cherche aussi, comme une obsession, dans son errance obstinée.
Dans ce livre, la lumière triomphale des dieux du stade se confronte ainsi aux sous-sols de notre Histoire, à la noirceur de tous ces territoires où patientent des corps brisés.
À travers le drame des disparus du Mexique, c’est le destin de tous ceux qui – de l’Argentine à l’Espagne – sont devenus un jour ces ombres, que j’ai voulu ressusciter. Et plus encore, par ce livre, donner à voir la force et la dignité de ceux qui n’ont de cesse de les retrouver.”
Nicolas Mathieu
Né en 1978, Nicolas Mathieu vit à Nancy. Il est également l’auteur chez Actes Sud d’un premier roman, Aux animaux la guerre (2014 ; Babel noir n° 147), distingué par de nombreux prix, ainsi que de Leurs enfants après eux (Actes Sud, 2018 ; Babel n° 1705 – prix Goncourt 2018) et de Rose Royal suivi de La Retraite du juge (Babel n°1749, 2021).

Connemara
Parution le 2 février
Hélène a bientôt quarante ans. Elle est née dans une petite ville de l’Est de la France. Elle a fait de belles études, une carrière, deux filles et vit dans une maison d’architecte sur les hauteurs de Nancy. Elle a réalisé le programme des magazines et le rêve de son adolescence : se tirer, changer de milieu, réussir.
Et pourtant le sentiment de gâchis est là, les années ont passé, tout a déçu.
Christophe, lui, vient de dépasser la quarantaine. Il n’a jamais quitté ce bled où ils ont grandi avec Hélène. Il n’est plus si beau. Il a fait sa vie à petits pas, privilégiant les copains, la teuf, remettant au lendemain les grands efforts, les grandes décisions, l’âge des choix. Aujourd’hui, il vend de la bouffe pour chien, rêve de rejouer au hockey comme à seize ans, vit avec son père et son fils, une petite vie peinarde et indécise. On pourrait croire qu’il a tout raté.
Et pourtant il croit dur comme fer que tout est encore possible.
Connemara c’est cette histoire des comptes qu’on règle avec le passé et du travail aujourd’hui, entre PowerPoint et open space. C’est surtout le récit de ce tremblement au mitan de la vie, quand le décor est bien planté et que l’envie de tout refaire gronde en nous. Le récit d’un amour qui se cherche par-delà les dis-tances dans un pays qui chante Sardou et va voter contre soi.
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“J’AI RENCONTRÉ BEAUCOUP DE GENS ces dernières années qui se reconnaissaient dans les personnages de Leurs enfants après eux, qui avaient connu ces mêmes adolescences moites et pleines d’ennui, et qui avaient tous en commun d’être partis d’une vallée, d’avoir cherché à rompre avec un héritage.
C’est peut-être d’eux qu’est venue cette envie de parler d’Hélène et de ce sentiment d’à-quoi-bon qu’on éprouve parfois quand, à quarante ans, il se trouve qu’on s’est tiré pour tout réussir, et que pourtant, un vide demeure, une question taraude :
« Est-ce tout ? »
Autour de moi, j’ai vu ce genre d’interrogations traverser mes amis, des couples se défaire et des parcours bifurquer brutalement, des bonheurs se pencher sur eux-mêmes pour d’étonnants hara-kiris, des gens se retrouver en cachette, toute une vie se retissant en secret, parce que le programme mené jusque-là les laissait sur leur faim.
Et j’ai pensé à cette phrase de Pierre Michon: « En eux, l’insuffisance du monde devenait folle. »
J’ai voulu raconter cet orage-là, quand au milieu du gué on prend le temps de suspendre cette phénoménale course d’endurance des sorts adultes, avec un job 300 jours par an, le supermarché le samedi, les vacances, les gosses et leurs copains, l’école, les activités, la peur et l’amour si prenant, l’immense fatigue tout le temps. J’ai voulu rendre ce tremblement du mitan de la vie, quand tout semble installé et que l’envie de tout refaire gronde en nous.
Mais au-delà, Connemara est peut-être surtout une tentative de rendre la course du monde, de raconter une poignée de destins quelque part en France sur fond d’élection présidentielle, entre la patinoire où toute une ville se cherche et des cabinets de conseil où s’organise la performance des nations. Le roman d’une chanson que tout le monde connaît, le récit de ce qui nous est commun jusque dans la séparation.’’
Pierre Testard
Né en 1987, Pierre Testard vit à Berlin. Les Enfants Boetti est son premier roman. Il est aussi traducteur.

Les Enfants Boetti
Parution le 2 février
Un jeune homme débarque à Rome sans but apparent et se consacre très attentivement à cette absence de programme, dans une extrême sensibilité au décor. Répondant à une petite annonce, il va occuper l’appartement d’une certaine Ada Boetti qui lui confie les lieux au cours d’absences aléatoires et mystérieuses. C’est la nuit qu’Ada réapparaît, sans jamais s’être annoncée, et que se noue entre eux un dialogue à sens unique : elle parle, il écoute. Et plonge bientôt corps et âme, et comme par effraction consentie, dans les souvenirs d’enfance qu’elle lui raconte.
En détective sensible et envoûté, le narrateur entreprend alors une véritable excursion dans la mémoire des autres. Sur les traces d’Angelo, le frère d’Ada, et de Lou Tamma, insaisissable soleil de leur enfance, sa quête l’entraîne de Rome à Londres en passant par Naples, et jusque sur une île italienne presque irréelle.
Les Enfants Boetti est un roman sortilège, un jeu de miroirs infidèles, un voyage d’une douceur et d’une fluidité trompeuses. Flânerie littéraire d’une surprenante richesse, c’est une expérience de lecture qui oblitère le temps et floute les frontières du rêve et de la réminiscence.
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“EN ROUVRANT UN CARNET DE NOTES tenu lors d’un séjour sur une île au large de Naples, je me suis rappelé une maison en bois près du rivage. J’apercevais parfois à l’ombre des pins alentour une dame d’un certain âge qui semblait vivre là seule, et passait son temps à dessiner ou à ramasser des brindilles. Dans mes premiers brouillons, cette étrangère à l’accent unique, travaillé par les dépaysements successifs, est devenue Lou Tamma, une artiste collectionnant sans fin les traces du passé et les signes d’amitié. Pour donner corps à son œuvre, pour nouer les fils de sa vie au sort de la famille Boetti, pour réveiller les souvenirs d’Ada et Angelo et faire entendre quelque chose de leur disharmonie, il m’a ensuite fallu faire de nombreux détours.
Scruter les apparitions de salons de coiffure dans de vieux films italiens, dormir régulièrement dans un magasin de bicyclettes, m’enfermer dans une chambre pour éprouver la nostalgie des escapades à l’air libre, espionner mes voisins par la fenêtre, oublier ma propre enfance, croire de plus en plus fermement à la coexistence des morts et des vivants, exhumer des légendes et un texte inabouti pour les glisser dans celui-ci, ou aller enterrer entre deux phrases des citations subtilisées dans mes livres de chevet.
J’ai dû aussi m’isoler, m’habituer à la solitude, rester longtemps avec mon texte pour découvrir que là où je croyais d’abord qu’il n’y avait personne, il y avait en fait mon narrateur. Enfin, il a fallu le lancer sur le sentier qui menait à la maison en bois près du rivage pour vérifier où elle était, qui l’habitait, et si tout ce que j’avais écrit dans mon carnet n’était pas simplement un roman sorti tout droit de mon imagination.”