J’ai lu le récit du jour de la prise en charge thérapeutique d’un groupe de six tout petits enfants qui avaient survécu à leur déportation dans le camp de Terezín. J’ai été bouleversée, non seulement par l’histoire de ce groupe d’enfants et leur progressif retour à un quotidien ordinaire, mais aussi par l’engagement à leurs côtés d’Anna Freud et de son équipe, toutes ces femmes qu’elle avait formées. J’ai moi-même travaillé dans des institutions à la marge de l’Éducation nationale auprès d’un public en grande difficulté. C’est à ce point de jonction que s’est cristallisé mon coup de foudre pour Anna…

Pionnière de la psychanalyse pour les enfants, elle a consacré son existence à construire cette psychopédagogie qui a fondé ma propre pratique professionnelle. Et je ne savais rien d’elle ?

J’ai découvert l’histoire d’une enfant peu désirée, née dans une famille peu encline à favoriser l’émancipation des femmes, à Vienne dans la première moitié du xx^e siècle. Sa lutte pour s’affirmer, ses contradictions intenables, sa longue histoire d’amour avec une femme, son courage dans l’adversité, sa force morale pendant la guerre, et bien sûr l’amour fou pour ce père aussi génial que possessif et réaction­­naire…

Même si j’ai cherché à être au plus près d’Anna, ce livre n’est pas une biographie. À la manière de Joyce Carol Oates s’emparant de la vie de Marilyn pour inventer Blonde, j’ai souhaité mettre en lumière cette vie si secrètement romanesque. Devenant cette femme qui marche face à des vents contraires, épousant ses doutes et ses impasses, j’ai eu le sentiment d’accompagner sa volonté, au milieu de la guerre, de préserver rageusement la pulsion de vie, de faire entendre une voix différente, qui a toujours tenté de maintenir le lien à l’autre.